La préparation du film sur Mgr Lefebvre m’a amené à rencontrer et à échanger plusieurs fois avec le Père Béguerie. Son témoignage dans le documentaire était d’autant plus méritant que tout l’avait séparé de Mgr Lefebvre. Il avait mené contre ce dernier une opposition ouverte au sein du séminaire des spiritains à Chevilly-Larue au point de demander à Rome son exclaustration de la Congrégation après l’élection de Mgr Lefebvre comme supérieur général. Cet épisode était assez dramatique. Le Père Béguerie avait relaté une séance très tendue où Mgr Lefebvre, supérieur général, avait dû se confronter à une salle comble et hostile de ses jeunes confrères. Le premier rang, composé des professeurs du grand séminaire, le toisait et épiait chacun de ses gestes, chacune de ses impressions. Or, le Père Béguerie était l’animateur de ce groupe hostile. Il avait également fait partie des protagonistes de la préparation de la version française du Novus Ordo tandis que Mgr Lefebvre passait dans le même temps pour son principal adversaire. Enfin le Père Béguerie était curé de Saint-Séverin dans les années 1980, à l’époque où la Fraternité Saint-Pie X s’enracinait tout près de là, à Saint-Nicolas du Chardonnet. Il avait d’ailleurs été plusieurs fois convoqué à la mairie du Ve arrondissement et, en le voyant arriver, le maire se confondait en excuses d’avoir mélangé Philippe Béguerie et Philippe Laguérie, la paroisse Saint-Séverin-Saint-Nicolas et l’église Saint-Nicolas du Chardonnet…

Néanmoins, il y avait chez le Père Béguerie une certaine admiration à l’égard de Mgr Lefebvre qu’il avait jadis combattu. Il semblait le redouter mais ce dernier paraissait aussi le fasciner. Sans doute était-ce la raison de son témoignage, dans lequel il a confirmé, à l’unisson des autres contemporains interrogés, que l’archevêque était un homme très fervent et d’un abord très facile. C’est Mgr Lefebvre qui lui avait conféré le diaconat et, à l’issue de la cérémonie, sa famille avait vanté auprès de lui les mérites de ce prélat si recueilli. Le Père Béguerie m’avait confié qu’il avait dû se séparer de la moitié de sa bibliothèque en arrivant à la maison Marie-Thérèse. Pourtant, un rayon entier, le plus accessible, était consacré à Marcel Lefebvre. Tout ce qui avait été publié sur le personnage, écrits favorables ou à charge, il avait tout et il connaissait tout, de Congar à Madiran, en passant par Brigneau ou Tissier de Mallerais. Il m’avait dit qu’il restait désorienté par la décision de Rome (nous étions quatre ans après le Motu Proprio) de remettre en honneur le missel traditionnel qu’il avait contribué à remplacer. Il paraissait très marqué par les antagonismes politiques de son siècle (AF, communistes, anciens d’Algérie) et réfléchissait manifestement à la distance à prendre avec toutes ces réalités. À la fin du tournage, il avait signé en souriant le texte autorisant à utiliser l’entretien qu’il avait accordé et il avait alors dit : « Je signe peut-être mon arrêt de mort. Mais à mon âge, qu’est-ce que je risque ? » Jusqu’au bout des échanges, il restait très impressionné par ce personnage qu’il avait si intimement côtoyé et combattu et qui a participé de près ou de loin aux grandes décisions de sa vie, lui qui a quitté sa congrégation, qui a œuvré aux réformes de l’Après-Concile. Aussi, devons-nous certainement élever nos prières pour cet homme qui était peut-être le plus éloigné de ce qui anime les discussions de ces pages mais qui était bien loin d’être insensible à leurs sujets. Parmi les témoins interrogés pour le film sur Mgr Lefebvre, il est le 10e qui disparait.

Soutenir le Forum Catholique dans son entretien, c'est possible. Soit à l'aide d'un virement mensuel soit par le biais d'un soutien ponctuel. Rendez-vous sur la page dédiée en cliquant ici. D'avance, merci !