« La toute-puissance d’un pervers »
Après avoir donné la parole à deux parents de victimes présumées, à l’Association des parents d’élèves de la fraternité enseignante, à Me Frédéric Pichon qui s’est opposé à la fermeture de l’école et à Me Alexandre Varaut, défenseur de l’abbé Spinoza (Présent des 4, 8 et 15 juillet) nous avons interrogé Me Solange Doumic, avocate de deux familles plaignantes. Me Doumic est connue pour avoir fait passer le tueur en série Guy Georges aux aveux lors du procès célèbre. Elle défend aussi des familles de victimes de la tuerie du Bataclan.
— L’abbé Régis Spinoza a été mis en examen et placé sous contrôle judiciaire pour « violences physiques », « violences psychologiques », « travail forcé » et « travail dissimulé ». Selon son défenseur Me Varaut, il reconnait avoir donné des gifles mais nie qu’il s’agisse d’infractions. Il estime qu’elles n’ont jamais occasionné la moindre blessure, est-ce que vous me confirmez qu’il n’y a aucune ITT pour violences physiques ? [NDLR : il y a bien eu une ITT mais pour « violences psychologiques »]
— Dans un dossier de ce type il n’y a quasiment jamais d’ITT pour violences physiques car les faits sont révélés bien après leur commission, sinon ils seraient arrêtés immédiatement. Il faudrait que les coups soient si forts qu’il y ait des séquelles physiques lourdes et apparentes pour que les parents constatent la gravité des faits et portent plainte aussitôt. Or, ici, la prise de conscience s’est faite sur plusieurs semaines et même plusieurs mois.
— Comment expliquez-vous justement que les familles plaignantes aient attendu si longtemps alors que selon elles les violences duraient depuis des mois ?
— Il y a beaucoup de choses qui rentrent en compte et qui, là aussi, sont des schémas assez classiques. La première raison est que l’abbé Spinoza exerce une sorte de pouvoir de gourou. Il y a une emprise de sa part sur les parents, un charisme. Quand les parents choisissent un pensionnat, ils font tout ce qu’ils peuvent pour choisir le meilleur pour leurs enfants et ce qu’ils pensent être le plus adapté. Donc par définition, ils font confiance à la personne choisie et même s’ils commencent à avoir des doutes, leur premier réflexe est de les écarter. Et cela l’enfant le ressent. L’enfant ne va pas commencer par dénoncer frontalement quelque chose qui est voulu par ses parents. Pour l’enfant, ce que fait l’abbé à qui ses parents l’ont confié est ce que veulent ses parents. Et il s’y plie au maximum. Le premier effet pervers de la maltraitance sur les enfants faite par un adulte ayant autorité, est que cette maltraitance casse le lien de confiance entre l’enfant et ses parents. La deuxième raison à ce délai avant les plaintes est que, quel que soit le contexte, les enfants ne dénoncent jamais immédiatement ou quasiment jamais les maltraitances qu’ils subissent. En effet, chez toute victime il y a un sentiment de culpabilité qui naît en même temps que ce qu’il subit. En 23 ans de pénal, je n’ai jamais rencontré une victime qui ne se sente pas coupable. De la vieille dame de 80 ans à qui on arrache son sac dans la rue, à la femme qui se fait violer dans un parking. De ce fait, on dénonce difficilement parce qu’en dénonçant on s’accuse soi-même avant d’accuser l’autre. D’autant que chez l’abbé Spinoza il y a eu des comportements extrêmement malsains sur le plan sexuel qui renforcent chez l’enfant le sentiment de mal-être et de culpabilité qu’il ressent.
— Je vous rappelle que toutes les poursuites pour des infractions à caractère sexuel ont été abandonnées.
— Elles ont été abandonnées pour l’instant. Je maintiens, quant à moi, qu’il y a eu des actes à connotation sexuelle, qu’il est malsain de venir se coucher contre un enfant qui n’a rien demandé et à qui on vient imposer sa présence et son contact physique dans son lit, ou à qui on demande de se faire masser.
— Est-ce que vous confirmez, comme me l’a affirmé Me Varaut, que ces enfants étaient des enfants difficiles dont les autres écoles ne voulaient pas ?
— Non, je ne confirme pas du tout que tous ces enfants étaient difficiles, loin de là, je dirai même l’inverse. D’ailleurs, qu’appelle-t-on enfants difficiles ? Et si c’était le cas pour certains, serait-ce une raison ? La prochaine fois nous dira-t-on que c’est parce que c’est un handicapé qu’on a le droit de lui taper dessus ? C’est odieux comme argument. Et puis arguer du fait que les parents ont demandé à l’abbé de taper sur les enfants et qu’en somme il les tapait au nom des parents, est quelque chose de profondément choquant. Ce sont les parents et la famille qui sont là pour éduquer. On est face à quelqu’un qui adopte les méthodes des régimes totalitaires, exactement ce que l’on reproche à l’école laïque, gratuite et obligatoire.
— Comment expliquez-vous que seulement quatre familles sur une soixantaine ont porté plainte et retiré leurs enfants alors qu’une majorité de parents gardent leur confiance à l’abbé Spinoza ?
— Le principe du gourou, je le répète. Et puis il y a l’esprit de groupe, il ne faut pas se désolidariser du groupe en portant plainte. Il y a aussi des pressions émanant de l’entourage de l’abbé Spinoza et de lui de manière indirecte. Il y a enfin la crainte que révéler les faits nuise aux écoles hors contrat.
— La responsable de l’association des parents de la fraternité enseignante de l’Angélus, Séverine Bernard, qui soutient l’abbé Spinoza, m’a dit qu’on frôlait l’affaire d’Outreau ici.
— Dans l’affaire d’Outreau, il y a eu des personnes condamnées et des enfants violés.
— Quelles sont les violences physiques dont se sont plaints les enfants des parents que vous défendez ?
— Les plus graves pour moi sont celles faites par les plus grands sur les plus petits, sur ordre de l’abbé.
— C’est totalement contesté par l’abbé Spinoza et son avocat. Pour eux « la claque magistrale » décrite par certaines victimes n’a jamais existé. Ils reconnaissent en revanche « l’orangina » (NDLR : punition consistant à secouer violemment un enfant par la joue) et le « poireau » (NDLR : le fait d’obliger un élève à rester plusieurs heures sur une chaise).
— Dans les dossiers que j’ai à traiter, quand les faits sont incontestables, les pervers ont toujours tendance à reconnaître (avec parfois même beaucoup de fausse contrition), une partie des faits : la « moins grave » ou celle qui est prescrite.
— Et quelles étaient les violences psychologiques ?
— L’humiliation, le dénigrement, l’emprise jusqu’au fait d’être condamné à rester assis sur une chaise pendant trois jours. C’est à la fois une violence psychologique et physique.
— Vous affirmez bien trois jours ? L’enfant était réveillé le matin, nuit après nuit et on le remettait sur sa chaise au réveil ?
— Absolument. Jusqu’à ce qu’il craque. Et comme violence psychologique j’ajoute également : l’obligation de ne se confesser qu’à l’abbé Spinoza. Ce qui est interdit par l’Eglise. C’est une dérive sectaire. Interdiction de se confesser à quelqu’un d’autre et si un enfant ne voulait pas se confesser avec lui, il était brimé. Pour un chrétien, c’est un fait extrêmement grave. Pour l’enfant, c’est dramatique.
— On se trouve ici dans le cadre d’une dérive d’un enseignant qui a outrepassé ses fonctions, y aura-t-il un procès ?
— C’est bien plus grave que ça. On est face à la toute-puissance d’un pervers qui a trouvé un lieu pour exercer son pouvoir. Sans aucune limitation au quotidien, sans aucune tutelle, sans aucun contrôle. Oui, il y aura un procès.
Propos recueillis par Caroline Parmentier
Selon nos dernières informations il se confirme qu’il y aura un procès civil, et un procès pénal canonique instruit devant le tribunal ecclésiastique de Bourges.
PRESENT du SAMEDI 22 JUILLET 2017 - N° 8907, pp. 1 et 3