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Cinéma:“Dieu n'est pas mort“, un navet ratzingérien
par Jean Kinzler 2017-09-22 17:18:30
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“Dieu n'est pas mort“ : un navet, certes, mais ratzingérien

Denis Moreau

Estimant qu’on faisait un peu vite de la proclamation de Nietzsche « Dieu est mort » le fin mot de la modernité, Jean Delumeau expliquait : « Le Dieu des chrétiens était autrefois beaucoup moins vivant qu’on ne l’a cru, et il est aujourd’hui beaucoup moins mort qu’on ne le dit ». C’est ce que suggère le film Dieu n’est pas mort, un de ces christian movies qui fleurissent aux États-Unis, mais traversent rarement l’Atlantique. Si celui-là arrive jusqu’à nous, c’est sans doute parce qu’il a connu en 2014 le succès aux Amériques, à un tel point qu’il a été doté d’une suite en 2016. Après avoir vu ce premier volet, on se dit toutefois que ce ne sera pas trop grave si le second ne parvient pas en France.

Le héros du film, Josh, est un jeune et sémillant chrétien, d’obédience « évangélique » semble-t-il. Tout juste arrivé à l’université, il suit le cours du professeur de philosophie Jeffrey Radisson, athée militant et furieusement antipathique (joué par Kevin Sorbo, qui interpréta naguère Hercule dans la série télé du même nom : cela change des profs de philo malingres récurrents dans le cinéma français). Lors du premier cours, Radisson veut contraindre ses élèves à signer un document affirmant : « Dieu est mort ». Josh refuse. Le professeur furieux, mais sûr de son fait, lui propose alors de prouver lors des cours suivants, devant ses condisciples et en trois fois vingt minutes, que Dieu existe. Josh accepte le défi.

Dieu n’est pas mort appartient à la catégorie des « mauvais films qui posent de bonnes questions ».

Le film est rythmé par ces joutes intellectuelles entre l’étudiant et son professeur, quelques intrigues et personnages secondaires se greffant de façon brouillonne sur cette trame. On apprend que si Radisson est athée, c’est qu’il a eu des problèmes dans son enfance. On croise un musulman fort méchant – il contraint sa fille à porter le voile et la bat quand elle s’intéresse à Jésus – dont on ne voit pas trop ce qu’il fait là (enfin si, d’ailleurs, on ne le voit que trop bien : il incarne, assez sottement, le péril islamique). Les chrétiens, eux, sont tous vraiment très gentils et ceux qui sont gentils sans être chrétiens finissent par le devenir. Le bon Dieu délivre de pieux messages par la bouche d’une vieille femme atteinte d’un Alzheimer avancé. Il empêche aussi de façon répétitive la voiture d’un pasteur de démarrer ; puis il en autorise la mise en route de sorte que ce religieux puisse opportunément se trouver présent pour recueillir la conversion finale de Radisson agonisant après un accident de la circulation. On apprend que les scientifiques auraient dit moins de bêtises sur l’origine du monde s’ils avaient lu la Genèse au sens quasi-littéral. Et on nous gratifie d’une énième variation autour de l’inusable « Si Dieu n’existe pas, alors tout est permis » de Dostoïevski. Etc.

Mon appréciation globale sur le film tient donc en trois mots : Ouh là là...
Une critique bien vue du fidéisme

Mais comme l’enseigne Spinoza, il faut « toujours prêter attention à ce qu’il y a de bon dans chaque chose, afin qu’ainsi nous soyons toujours déterminés par un sentiment de joie » (Éthique, V, 10). De ce point de vue, Dieu n’est pas mort appartient à la catégorie des « mauvais films qui posent de bonnes questions ». Avec sa façon de prendre au sérieux le défi de son professeur, d’aller dévorer des livres à la bibliothèque pour préparer ses exposés, de travailler, réfléchir, discuter au sujet de sa foi, le personnage de Josh constitue une figure philosophiquement sympathique.

Le film attire ainsi l’attention sur ce qu’on a coutume d’appeler les « preuves de l’existence de Dieu ». Les séquences qui, au fil des exposés de Josh et des réponses de Radisson, vulgarisent les controverses sur ce thème, sont assez réussies et informées. Elles rappellent que ce type de débats n’a pas disparu aux poubelles de l’histoire des idées. De grands philosophes contemporains, notamment anglo-saxons (par exemple Richard Swinburne, William Craig, Alexander Pruss), continuent à tenter de mettre au point des arguments en faveur de l’existence de Dieu, ou de perfectionner ceux qui existent. Certes, pour désigner ces recherches, on ferait mieux de renoncer au mot de « preuve » : jamais on ne prouvera que Dieu existe avec la même certitude qu’une vérité mathématique. Mais ces raisonnements rappellent qu’il n’est pas à tous égards dénué de sens d’affirmer que Dieu existe. À l’expression « preuve de l’existence de Dieu », le théologien Walter Kasper propose ainsi de substituer celle d’« invitation argumentée à la foi ». C’est exactement ce que fait Josh, en montrant à ses condisciples que sa foi, sans être intégralement rationnelle (sinon, ce ne serait plus de la foi, mais de la science), n’est pas déraisonnable. On cite souvent ces trois mots attribués (faussement) à un des premiers grands penseurs chrétiens, Tertullien : « Credo quia absurdum », « Je crois parce que c’est absurde ». Josh n’est pas du tout dans cette optique : s’il croit, c’est parce qu’il estime avoir de bonnes raisons pour cela.

Si l’on se souvient que la défense et la promotion de l’argumentation rationnelle en matière religieuse fut un des axes du pontificat de Benoît XVI, ce film est naïvement mais profondément ratzingérien.

Josh offre donc l’image d’un chrétien qui prend au sérieux l’injonction de la Première Lettre de Pierre (3, 15) : « Vous devez toujours être prêts à vous expliquer devant tous ceux qui vous demandent de rendre raison de l’espérance qui est en vous. » Implicitement, le film critique ainsi ces chrétiens qui, alors que la vie leur a donné la chance d’étudier et de savoir réfléchir, font pourtant profession de se contenter d’une foi obscure, voire aveugle et réduite à un sentiment, qui se replie sur la seule « intériorité », se crispe en se contentant d’être personnellement « vécue » ou « authentiquement » « ressentie » – ce qui, certes, n’est pas rien – sans jamais être réfléchie, et qui se dérobent ainsi à tout débat argumenté. Comme le pressent Josh, devant Radisson ou ses semblables, une telle attitude serait ruineuse : si, face à ceux qui s’interrogent ou les interrogent sur leur foi, les chrétiens ne savent répondre que « je le ressens mais je n’ai rien à en dire », il n’est pas étonnant qu’on les considère comme les membres d’une secte farfelue.

Ce film remet donc en question l’anti-intellectualisme observable chez certains croyants. Il dénonce la tentation fidéiste qui va de pair avec un renoncement à comprendre ou expliquer ce qu’on croit, et qui trouve sa traduction sociale dans une tendance identitaire au communautarisme, un recroquevillement sur soi, l’installation consanguine dans une mentalité de forteresse assiégée. Toutes ces formes de repli sont par essence incompatibles avec la visée universelle, c’est-à-dire catholique, au sens étymologique, du message chrétien. Josh, lui, accepte le débat. Il comprend que la raison philosophique, l’universalité qu’elle autorise et le dialogue qu’elle instaure, permettent de communiquer (au sens fort : partager, mettre en commun), échanger, s’expliquer, et d’échapper par là au prosélytisme à sens unique, et au fanatisme.

Au fond, et si l’on se souvient que la défense et la promotion de l’argumentation rationnelle en matière religieuse fut un des axes du pontificat de Benoît XVI, ce film est naïvement mais profondément ratzingérien. Voici donc, en un sens, un navet recommandable.



Denis Moreau est notamment l'auteur de :
Foi en dieu et raison. Théodicées. Deux essais de philosophie de la religion (Cécile Defaut),
Pour la vie ? Court traité du mariage et des séparations (Seuil),
La Philosophie de Descartes (Vrin),
Mort, où est ta victoire ? (Bayard).
la vie

     

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