En effet, il peut y avoir méprise sur la signification de « loi » dans l’expression loi de gradualité. Car bien sûr il ne s’agit pas d’une exigence morale, mais d’une nécessité de la vie morale dans son devenir.
Cela dit, je ne pense pas que la confusion porte là-dessus. Elle porte sur la question de savoir si cette nécessité de progression dans la vie morale permet de dire que certains ne peuvent parvenir à l’observation de la loi (ici le rejet des actes adultères) que moyennant une progression ; si avant le terme de cette progression, puisque c’est une nécessité en quelque sorte naturelle d’y parvenir par une croissance, il n'y a donc pas péché de ne pas observer la loi ; et elle reste un idéal à atteindre dans le futur.
Or c’est cela que Jean-Paul II rejette, en disant que la loi de gradualité n’est valable que pour ceux qui observent la loi (voir la citation), et que la loi ne peut donc pas être un idéal à réaliser dans le futur. La conséquence directe est qu’un prêtre ne peut pas « discerner », que des personnes vivant dans l’adultère peuvent recevoir l’absolution et communier sans prendre la résolution d’arrêter l’adultère (il s’agit d’une résolution ferme et sincère au moment où est reçu le sacrement, ce qui n’empêchera pas qu’il y ait des chutes éventuelles).
La gradualité de la loi signifie une progression morale qui produira
- non pas la possibilité fondamentale d’observer la loi,
- mais un affermissement, une plus grande facilité, le dépassement des durs combats,
- et le fait d’assumer de vivre selon la loi dans toutes les capacités humaines, celles qui ne sont pas immédiatement transformées par la grâce justifiante, mais requièrent la grâce et le labeur humain.
Par rapport à la phrase où vous dîtes (« j'ai la ferme intention de ne plus pécher du tout avec l'aide de la grâce, et je fais ce que je peux pour y arriver, même si le principe de gradualité qui s'impose à moi - que je constate plutôt que de décider de l'observer - fait que je n'y arriverai que petit à petit. »), La première partie est juste et est capitale, mais par contre il n’est pas vrai que « le principe de gradualité qui s’impose à moi… fait que je n’y arriverai que petit à petit ». Je suis en droit d’espérer que la grâce tout de suite va me permettre d’y arriver, il n’y a pas de fatalité au nom de la gradualité à ce que je n’y arrive pas tout de suite. La doctrine de l’église dit que la grâce justifiante suffit, même si ça peut être au prix de grands combats : « Dans certaines situations, l'observation de la Loi de Dieu peut être difficile, très difficile, elle n'est cependant jamais impossible. C'est là un enseignement constant de la tradition de l'Eglise que le Concile de Trente exprime ainsi : « Personne, même justifié, ne doit se croire affranchi de l'observation des commandements. Personne ne doit user de cette formule téméraire et interdite sous peine d'anathème par les saints Pères que l'observation des commandements divins est impossible à l'homme justifié. " Car Dieu ne commande pas de choses impossibles, mais en commandant il t'invite à faire ce que tu peux et à demander ce que tu ne peux pas " et il t'aide à pouvoir. (Veritatis Splendor §102).
Ce que je crois pouvoir dire par rapport à l’exhortation apostolique en elle-même, c’est qu’il y a une marge d’interprétation. Il y a beaucoup d’affirmations mais qui restent vagues dans leur application concrète, et dans leur articulation. Parce que le pape ne fête pas de lien logique ; c’est trop souvent au lecteur de faire le lien et de trouver une logique dans toutes les affirmations.
Mais moi-même quand je la lis, je trouve qu’elle porte fortement à tirer cette conclusion erronée : la loi de gradualité justifie que dans certaines situations on puisse vivre en état d’adultère en reportant dans un futur imprécis l’observation de la loi. Et en conséquence on peut donner dans certaines situations la communion aux personnes qui vivent dans l’adultère sans qu’elle prennent la résolution franche d’en sortir. Or une telle affirmation, fortement suggérée par le texte, est gravement contraire à l’« enseignement constant de la tradition de l'Eglise » et lourd de conséquences, d’autant plus que ça devrait s’appliquer à tous les commandements et tous les désordres moraux, et aussi aux conditions de réception de tous les sacrements.
Toutefois, malgré la vraisemblance de cette interprétation, l’imprécision logique dont je parlais permettrait de « sauver le texte », en disant qu’il faut interpréter conformément à la doctrine constante de l’église et rejeter les interprétations qui s’y opposent.
En espérant que cela pourra un peu vous aider. Et bien sûr vous pouvez me faire part de vos éventuelles objections ou demandes de précisions.
Cordialement,
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