Dieu peut-il être injuste? La réponse de saint Thomas

Le Forum Catholique

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baudelairec2000 -  2017-08-07 18:41:09

Dieu peut-il être injuste? La réponse de saint Thomas

Permettez-moi de vous dire combien les tournures dont vous usez et les formulations de vos questions ne peuvent qu’apporter des réponses fausses. Vous partez d’exemples de l’Ancien Testament pour dénoncer l’injustice de ce que l’on doit considérer comme des préceptes de la loi ancienne : vous évoquez des « homicides d’innocents », l’« assassinat d’un innocent », mais les femmes et enfants qui ont été massacrés par le peuple juif étaient-ils aussi innocents que cela, étaient-ils innocents aux yeux du Dieu d’Israël ? Vous allez jusqu’à qualifier le massacre des Amalécites de génocide, on peut dire que vous ne faites pas dans la demi-mesure ; il est assez cocasse, de voir, sous votre plume, un peuple qui, bien plus tard, proclamera qu’il aura fait l’objet d’un génocide, la shoah, être lui-même l’auteur du premier génocide …
Peut-être conviendrait-il de repartir sur des bases saines. Référez-vous de manière précise aux différents passages de l’Ancien Testament (Deutéronome notamment). Pour comprendre que Dieu ne peut jamais être injuste, qu’il ne peut pousser personne à commettre un acte injuste, je vous propose un petit tour de la question avec saint Thomas d’Aquin dans la partie de la Somme Théologique consacrée à la loi ancienne (Ia IIae, question 105, article 3).



Les préceptes judicaires concernant les étrangers (quantum ad extraneos)

Objections:

1. S. Pierre a dit (Ac 10, 34): "En vérité, je reconnais que Dieu ne fait pas acception des personnes, 31mais qu'en toute nation, quiconque le craint et pratique la justice lui est agréable." Or ceux qui sont agréables à Dieu ne doivent pas être exclus de l'Église de Dieu. Il y a donc quelque chose de choquant dans cette prescription (Dt 23, 4) qui interdit "aux Ammonites et aux Moabites, même au-delà de la dixième génération et pour toujours, d'entrer dans l'assemblée du Seigneur": alors qu'en revanche il est déclaré au même endroit (Dt 23, 8-9), en faveur d'autres nations: "Tu n'auras pas de haine pour l'Iduméen, car c'est ton frère, ni pour l'Égyptien, car tu as résidé comme étranger [de passage] dans son pays."


2. Nous ne pouvons pas être punis pour ce qui ne dépend pas de nous. Mais si quelqu'un est eunuque ou de naissance illégitime, il n'en n'est pas responsable. Le Deutéronome (23, 1 s) a donc tort de décider que "l'eunuque ou le fruit de rapports illicites (un bâtard ou un fils de prostituée) ne sera pas admis dans l'assemblée du Seigneur".

4. Les hommes sont beaucoup plus proches de nous que les arbres. Or nous devons une affection plus intense et plus active aux êtres qui nous tiennent de plus près, selon cette maxime de l'Ecclésiastique (13, 19): "Tout vivant aime son semblable; de même aussi tout homme aime son prochain." On ne comprend donc pas que le Seigneur ordonne (Dt 20, 13) d'exterminer tous les habitants des villes qui auront été prises, et cependant de respecter les arbres fruitiers.

Sed contra:

la Sagesse divine déclare dans les Proverbes (8, 8): "La droiture règle tous mes discours; il ne s'y trouve rien de difforme ni de tortueux."



Respondeo:

Avec les étrangers (cum extraneis), le peuple peut entretenir deux sortes de rapports:

dans la paix ("pacifice") et dans la guerre ("hostiliter").

Pour régler les uns et les autres, la loi comportait les préceptes qu'il fallait (convenentia praecepta).

1/ Dans la paix, une triple occasion s'offrait aux Juifs d'entrer en contact avec les étrangers:

tout d'abord quand des étrangers en voyage traversaient le pays; ou bien quand des étrangers venaient dans le pays comme étrangers de passage (sicut advenae). Dans ces deux cas, les prescriptions légales ont un caractère d'humanité (ce sont des misericordiae praecepta); ce sont les maximes de l'Exode (22, 21): "Tu ne brimeras pas l'hôte étranger", et (23, 9): "Tu ne seras pas cruel pour le voyageur étranger."

Le troisième cas est celui d'étrangers désirant être reçus en pleine communauté de vie et de culte avec le peuple: à leur endroit on observait certaines formalités, et leur admission à l'état de citoyens n'était pas immédiate. De même, selon Aristote, c'était une règle chez certaines nations de réserver la qualité de citoyens à ceux dont l'aïeul, voire le trisaïeul, avait résidé dans la cité. Et cela se comprend, à cause des multiples inconvénients occasionnés par la participation prématurée des étrangers au maniement des affaires publiques, si, avant d'être affermis dans l'amour du peuple, ils entreprenaient quelque chose contre lui. C'est pourquoi, selon les dispositions de la loi, certaines nations plus ou moins liées avec les juifs, comme les Égyptiens au milieu desquels ils étaient nés et avaient grandi, les Édomites descendants d'Ésaü, le frère de Jacob, étaient accueillis dès la troisième génération dans la communauté du peuple.

D'autres au contraire qui avaient montré de l'hostilité pour les juifs, comme les descendants d'Ammon et de Moab, n'y étaient jamais admis [origine incestueuse de ces peuples, apparentés à Israël, car descendant de Lot, comme nous l’apprend le chapitre 19 de la Genèse), des peuples à la fois voisins et ennemis ]; quant aux Amalécites qui leur avaient été particulièrement hostiles et ne leur étaient liés à aucun degré de parenté, on devait à jamais les traiter en ennemis, selon l'Exode (17, 16): "De génération en génération, Dieu sera en guerre avec Amalec."

De même pour les rapports de belligérance avec l'étranger, les prescriptions légales étaient satisfaisantes. En premier lieu il était prescrit par le Deutéronome (20, 10) d'engager la guerre selon la justice, car, au moment d'attaquer une cité, on devait commencer par lui faire des offres de paix. Ensuite, la guerre une fois engagée, il était prescrit de la mener vigoureusement, en se fiant à Dieu [idée reprise par saint Augustin]; à cet effet la loi disposait qu'un prêtre, au moment du combat, relèverait les courages en promettant le secours de Dieu. En troisième lieu, voulant que rien ne vînt gêner les combattants, la loi ordonnait de renvoyer chez eux ceux qui risquaient d'embarrasser [saint Thomas développe ce point dans ses réponses aux objections 5 et 6, en se basant sur Deut. 20, 5-8].

Enfin, la loi prescrivait la modération dans la victoire, voulant qu'on épargnât femmes et enfants, et même qu'on se gardât de couper les arbres fruitiers du pays.


Solutions:

1. Aucune nation n'est écartée par la loi de ce qui concerne le culte de Dieu et le salut de l'âme, car l'Exode (12, 48) ordonne: "Si quelque étranger en résidence chez vous veut célébrer la Pâque du Seigneur, que tout mâle lui appartenant soit d'abord circoncis, et alors il célébrera régulièrement et sera en tout comme le naturel du pays." Mais au temporel, en ce qui concerne la société politique, on n'admettait pas d'emblée le premier venu, pour la raison qu'on vient de dire; les uns étaient admis à la troisième génération: les Égyptiens et les Édomites; les autres, les Moabites, les Ammonites et les Amalécites étaient exclus à perpétuité, en abomination de leur crime passé. De même en effet qu'un individu porte la peine de la faute qu'il a commise, pour qu'intimidés par ce spectacle les autres cessent de mal faire, de même aussi une nation ou une cité peut être punie à raison d'un péché pour que les autres s'abstiennent de les imiter.

Toutefois, par dispense individuelle, un particulier pouvait, à raison de quelque haut fait, être agrégé au sein du peuple (in collegium populi); on lit dans Judith (14, 6) que le chef des Ammonites, Achior [après avoir vu tout ce qu’avait le Dieu d’Israël, notamment ll’exploit de Judith] fut incorporé au peuple d'Israël, lui et toute sa postérité. Il en fut de même pour Ruth, une Moabite, femme de grande vertu; mais peut-être la prohibition ne visait-elle que les hommes, les femmes ne jouissant pas à proprement parler de la qualité de citoyens.

2. Aristote distingue deux degrés dans la citoyenneté, un degré parfait et un degré relatif. Est citoyen parfait celui qui peut exercer les fonctions civiques, comme intervenir dans les délibérations et les décisions publiques. On peut qualifier de citoyen en un sens relatif quiconque habite la cité, gens du commun (viles personae), enfants et vieillards, inhabiles aux fonctions de caractère public. On comprend donc que les bâtards, pour la honte attachée à leur naissance, fussent exclus de l'assemblée, c'est-à-dire du corps politique, jusqu'à la dixième génération. Il en allait de même des eunuques qui ne pouvaient prétendre à l'honneur dont la paternité était entourée à bon droit, dans ce peuple juif surtout où le culte de Dieu se perpétuait par la voie de la génération charnelle; car même chez les païens, si l'on en croit Aristote, ceux qui avaient eu de nombreux enfants recevaient des témoignages particuliers de considération.

Cependant, répétons-le, du point de vue de la grâce de Dieu les eunuques n'étaient pas écartés, non plus que les hôtes d'origine étrangère (advenae). On peut alléguer en ce sens Isaïe (56, 3): "Que le fils de l'étranger qui s'est attaché au Seigneur ne dise pas: "Le Seigneur m'exclura de son peuple", et que l'eunuque ne dise pas "je suis un arbre sec."

4. On distinguait entre les villes ennemies. Certaines, étant éloignées, n'entraient pas dans la catégorie des villes dont la possession était promise aux Juifs; lorsqu'ils les avaient conquises, ils en exterminaient tous les mâles qui avaient combattu contre le peuple de Dieu, mais ils épargnaient les femmes et les enfants. S'agissait-il au contraire des villes voisines qui leur avaient été promises, il était de règle que tous les habitants en fussent immolés, à cause de leurs iniquités antérieures; le peuple d'Israël les châtiait, comme mandaté par le Seigneur pour l'exécution de la justice divine; c'est ce qui paraît dans la Deutéronome (9, 5): "C'est parce que ces nations ont commis l'iniquité que tu es entré chez elles pour leur ruine." Quant aux arbres fruitiers, il était prescrit de les sauvegarder, pour l'avantage même du peuple juif qui devait entrer en possession de la cité et de son territoire.






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