Dans le transept de gauche, à la voûte, huit anges vêtus de robes lilas, rose, vert, jaune, auréoles de vert émeraude, chantent en s’accompagnant d’instruments, viole, harpe, tympanon : quelques-uns déroulent des cahiers où le chant est écrit en belle gothique et noté en notation carrée. La couleur est tout en rapports de blancs, et de quels blancs savoureux ! avec deux ou trois valeurs fermes parmi des nuances. Dans les visages délicieusement blonds, encadrés d’une abondante chevelure, dessinés avec art, les yeux ont une importance toute française, comme chez Nattier, comme chez Renoir. La grâce des formes, la souplesse des draperies ne se peuvent décrire. Point de plis cassés, point de détails inutiles. Comme dans le plafond de l’hôtel de Jacques Cœur, qui peut-être est moins aérien, moins mystique, les ailes des anges, chargées d’ornements, contrastent à souhait avec la simplicité des figures. Est-ce de Memmi, est-ce d’Outamaro, ces anges femmes d’une élégance si raffinée qui s’alanguissent dans ces longues robes pâles ?
Maurice Denis

Chaque voûtain montre un ange qui joue d’un instrument et un ange qui déploie une partition.
Voûtain nord : l’instrument est une vièle à archet, sur la partition on lit : Et in terra, et : Tenor.
Voûtain est : l’instrument est une harpe gothique, sur la partition on lit : Patrem, et : Tenor.
Voûtain ouest : l’instrument est un rebec, et sur la partition on lit : Sanctus, et : Tenor.
Voûtain sud : l’instrument est un tambour, et sur la partition on lit : Agnus, et : Tenor.

Les inscriptions sont en caractères gothiques, et la première lettre est en rouge, comme c’était l’usage dans les livres liturgiques. (Les lettres rouges ne sont plus guère visibles sur le voûtain ouest.) La mention « Tenor » sur chaque partition indique la mélodie principale, la teneur, celle sur laquelle les autres voix vont broder (et qui donnera le « ténor », celui qui est entre la basse et le soprano). Cette indication montre qu’il ne s’agit pas de notes peintes au hasard, mais de véritables partitions. Et les autres mots indiquent le début des principales parties de l’ordinaire de la messe, hormis le Kyrie. En effet, « Et in terra » sont les premiers mots du Gloria chanté par le chœur après l’intonation par le célébrant : « Gloria in excelsis Deo ». Il en est de même avec « Patrem », premier mot du Credo après l’intonation « Credo in unum Deum ». Tandis que le Sanctus et l’Agnus Dei sont entonnés directement par le chœur.

Le fait qu’il y ait sur chaque voûtain un ange avec une partition et un ange avec un instrument de musique n’implique pas que le chant fût accompagné. Les instruments de musique indiquent que les anges se consacrent à la louange divine par une symphonie céleste, comme le suggère le psaume 150.

Ursula Gunther, professeur de musicologie à l’université de Göttingen, dans une étude publiée par le CNRS en 1980, a montré qu’il s’agit des premières notes de chants d’une messe aragonaise ou avignonnaise, messe à trois voix, dont seules sont notées les deux voix supérieures. Elle a trouvé des concordances avec des manuscrits de messes avignonnaises, d’un manuscrit de Gérone, et l’Agnus Dei est exactement celui de la « Messe de Barcelone ». A la fin du XIVe siècle il y avait des contacts étroits entre l’Aragon et la cour papale d’Avignon, et l’on sait que la « Messe de Barcelone » était en fait issue de l’école d’Avignon. Ces liens furent encore plus étroits quand Pedro de Luna, cousin de la reine d’Aragon, devint pape d’Avignon, l’anti-pape Benoît XIII. (C’est le temps du grand schisme d’Occident. Et c’est un chanoine de Barcelone qui lui succède en 1424 sous le nom de Clément VIII, avant d’abdiquer en 1429 pour mettre fin au schisme.)

Il y a d’autre part des liens privilégiés entre le duc de Bretagne et “Benoît XIII”, le duc de Bretagne soutenant le pape d’Avignon alors que le roi de France soutient le pape de... Pise (l’antipape Jean XXIII).

Et il y a des liens entre le duché de Bretagne et la cour d’Aragon. Le duc François Ier (1442-1450) épousera Yolande d’Anjou, fille de Yolande d’Aragon. Et la partition aurait pu transiter par la Navarre voisine. Or le duc de Bretagne entre 1399 et 1442 est Jean V, petit-fils du roi de Navarre par sa mère. Et Charles Ier de Rohan-Guémené était par sa mère petit-fils de la reine Jeanne II de Navarre.

Pour brocher le tout, entre 1417 et sa mort en 1419, la Bretagne a été sillonnée par un extraordinaire prédicateur, saint Vincent Ferrier, venant d’une terre de la couronne d’Aragon, ami de “Benoît XIII” qui aurait voulu le garder à Avignon… Or on sait que saint Vincent Ferrier, qui chantait la messe tous les jours, avait le souci de la musique sacrée, qu’il partageait avec le duc Jean V qui l’avait fait venir en Bretagne.

Bref, non seulement la présence d’une messe arago-avignonnaise à Kernascléden n’est pas saugrenue, mais il y a pléthore de canaux possibles pour sa venue en ce lieu…

Par recoupement avec les partitions avignonnaises et aragonaises, on a pu ainsi reconstituer la « Messe de Kernascléden », qui a été interprétée par l’ensemble vocal féminin Corlortalea dans l’église en juillet 1996 et enregistrée.

(Dans cette chapelle de Kernascleden il y a 34 autres peintures murales du XVe siècle. Et à 1 km il y a une autre chapelle où j'ai la messe grégorienne trois fois par semaine : le paradis en vrai.)

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